La réalité du cœur dans le soufisme et son
rôle éducatif et social
du grand juriste et savant marocain Ahmed Lisan Al‐Haqq
Livre abordant le soufisme sous l'angle de l'éducation du maître vivant Sidi Hamza, en s'appuyant sur le Coran, la Sunna et les propos des grands juristes musulmans.
Chapitre 1 : le savoir transmis et légitime, la réalité légitime et divine ou la connaissance divine
Section 1 : les Chouyoukhs (maîtres) autorisés dans l'éducation spirituelle, la demande de la réalité divine et le compagnonnage des saints et des connaisseurs
1) La science de la réalité des mystères et de l'invisible
Certains font l'erreur de nier ce qui a été rendu légitime par le Coran et le Hadith. Alors, toutes les fois qu'ils aperçoivent un invocateur de grande ardeur qui demande la réalité des mystères et de l'invisible et qui prend un Chaykh connaisseur comme guide dans l'éducation spirituelle, ils dénigrent cela et interprètent la méthode de l'éducation, du compagnonnage et de la guidance spirituelle comme étant une simple passerelle entre le serviteur et son Seigneur plutôt qu'un moyen pour sortir de l'ignorance vers le savoir ou de l'inadvertance vers la vigilance (l'attention).
Cette catégorie de gens ignore que le premier à demander le secret de la réalité des mystères et de l'invisible est le Prophète Moussa (sur lui la Paix). Le Coran tout entier n'a pas été révélé inutilement et ne contient aucun sujet dont les hommes n'auraient pas besoin. Dieu l'a révélé pour être une lanterne par laquelle on peut se guider dans toute chose: "Nous n'avons rien omis d'écrire dans le Livre" (Al‐An'am 6, verset 38). Alors celui qui applique une partie du Coran et en néglige une autre par ignorance ou par contestation est considéré comme désobéissant à la Loi de Dieu et opposant à une science de réalité des mystères et de l'invisible. Cette science, comme indiquée dans le Coran, sort d'une terre de miséricorde et interpelle les âmes illuminées et les cœurs bons et purs. C'est cette science que Dieu a appris et a fait don à un serviteur vertueux et non pas à Son Prophète Moussa.
Ce serviteur vertueux, que Moussa a demandé de suivre pour apprendre ce que Dieu lui a donné comme savoir, serait Al‐Khidhr, un Waly (Saint). C'est parce que son nom n'a pas été révélé dans le Coran, contrairement aux Prophètes, qu'il ne serait pas un Prophète, mais plutôt un serviteur que Dieu aurait pris en charge.
Celui dont l'ardeur est grande et dont l'âme aspire à rejoindre le Plérome Suprême (al‐ mala' al‐a'la) doit se guider à partir du Coran, s'armer de la force de la foi en l'invisible, accompagner les siens en Dieu et pour Dieu et avoir confiance en eux, laisser de côté la contestation et la controverse et éviter les interrogations avant d'avoir des clarifications. C'est ce que illustre l'histoire de Moussa (sur lui la Paix) avec le serviteur vertueux. Il s'agit d'un récit qui entre dans le cadre du monde spirituel, un monde qui dépasse toutes les perceptions de l'esprit humain et dont Dieu, Seul, a la connaissance. Il dit alors dans le Coran: "Et ils t'interrogent au sujet de l'âme, ‐ Dis : “ l'âme relève de l'Ordre de mon Seigneur”. Et on ne vous a donné que peu de connaissance" (Al‐isra 17, verset 85).
Voici l'histoire de Moussa (sur lui la Paix) extraite du Coran: " Ils trouvèrent l'un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous. Moïse lui dit : “Puis‐je te suivre, à condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? ”. [L'autre] dit : “Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi. Comment endurerais‐tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance ? ”. [Moïse] lui dit : “Si Allah veut, tu me trouveras patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres”. “Si tu me suis, dit [l'autre,] ne m'interroge sur rien tant que je ne t'en aurai pas fait mention”. Alors les deux partirent. Et après qu'ils furent montés sur un bateau, l'homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit : “Est‐ce pour noyer ses occupants que tu l'as ébréché ? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse ! ”. [L'autre] répondit : “N'ai‐je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? ”. “Ne t'en prends pas à moi, dit [Moïse,] pour un oubli de ma part; et ne m'impose pas de grande difficulté dans mon affaire”. Puis ils partirent tous deux; et quand ils eurent rencontré un enfant, [l'homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit : “As‐tu tué un être innocent, qui n'a tué personne ? Tu as commis certes, une chose affreuse ! ” [L'autre] lui dit : “Ne t'ai‐je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? ”. “Si, après cela, je t'interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse,] alors ne m'accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi”. Ils partirent donc tous deux; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux‐ci refusèrent de leur donner l'hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s'écrouler. L'homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit : “Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire”. “Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l'homme,] Je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience. Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau. Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants; nous avons craint qu'il ne leur impose la rébellion et la mécréance. Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accorde en échange un autre plus pur et plus affectueux. Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux; et leur père était un homme vertueux. Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu'ils extraient, [eux‐mêmes] leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l'interprétation de ce que tu n'as pas pu endurer avec patience”. (Al‐Kahf 18, versets
64 – 82)
La sagesse à tirer de la parole de Dieu " Je ne l'ai d'ailleurs pas fait de mon propre chef " est que les fautifs, notamment en ce qui concerne les choses en rapport avec l'invisible et le spirituel, disent et font les choses de leur propre chef alors que les justes, ceux qui ont raison, disent et font les choses de par la volonté de leur Seigneur. Ce sont les détenteurs des réalités des mystères et de l'invisible. Ces mêmes réalités, transmises, ne s'acquièrent pas par l'effort et le travail à moins d'avoir donné la cause et d'avoir justifié sa demande. De telles réalités émanent de la Grâce et de la Générosité du Créateur et se révèlent aux âmes pures et bonnes. Tout le monde n'y a pas accès, mais seule une catégorie bien particulière des croyants vertueux en bénéficient.
Cette histoire est la plus grande des épreuves pour les rationnels (ceux qui ramènent tout au jugement par la raison et la logique) et pour ceux dont la foi est faible. Elle est aussi un pilier, une preuve coranique de la légitimité de la discipline soufie qui, pour atteindre la réalité des mystères et de l'invisible, consiste à être docile et se remettre à Dieu, à délaisser la contestation et la controverse et à attendre les décisions du Pouvoir Divin.
Et si le Prophète Moussa (sur lui la Paix) ne pouvait pas avoir de la patience et s'empêcher de s'interroger et que sa récompense de la part du serviteur vertueux était: "Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience", alors il serait normal pour les savants et les spécialistes de la Chari'a de ne pas pouvoir s'armer de patience et éviter de s'interroger dans le domaine de la réalité des mystères et de l'invisible. Ce sont là les causes du conflit entre les savants de la Chari'a et les soufis. Il s'agit donc d'utiliser la force mentales dans l'apparent des choses et la force spirituelle dans le caché.
La différence entre l'apparent et le caché, ou entre la Chari'a et la Haqiqa (la réalité) est
évoquée dans ce hadith du Prophète (Prière et Salut sur lui): "la science est de deux sortes: une science dans le cœur et une science sur la langue. Cette dernière est la preuve que détient Dieu à l'égard des fils d'Adam". Dans une autre version il est dit: "la science est de deux sortes: une science dans le cœur, c'est la science utile, et une science sur la langue, c'est la preuve que détient Dieu à l'égard de ses serviteurs".
Il est donc tout à fait normal que la science enracinée dans le cœur, celle qui est utile dans la relation spirituelle entre le serviteur et son Seigneur, soit de la part des savants de la Haqiqa, et que la science qui est sur la langue, celle qui explique les ordres et les interdits, les droits et les obligations et tout ce qui en résulte comme châtiment et récompense, soit de la part des savants de la Chari'a. La science de la Haqiqa s'acquiert auprès de ses détenteurs et c'est le cas aussi pour la science de la Chari'a. Leur source est unique, après Allah c'est le Prophète (pssl); et en réunissant les deux, la religion s'achève comme a dit le Prophète (PSsl) à la fin du hadith de Jibril sur l'islam, l'Imane et l'Ihsane: "C'est l'ange Gabriel. Il est venu vous apprendre votre religion". Les savants de la Haqiqa sont ceux qui ont la connaissance de Dieu et les savants de la Chari'a sont ceux qui savent ce que Dieu a ordonné et ce qu'Il a interdit.
L'imam Ibn Taymiya évoque cette différence dans son livre "Al‐Imane" (la foi) en disant: "les savants sont de trois catégories: un savant de Dieu qui n'a pas connaissance des ordres de Dieu, un savant des ordres de Dieu qui n'est pas savant de Dieu et un savant de Dieu et des ordres de Dieu". Ceux qui connaissent les ordres et les interdits sont les Foqahas (les savants de la Chari'a). Leur tâche est de donner les leçons et les Fatwas et de défendre la loi de Dieu et la clarifier. Quant aux savants de Dieu, ce sont les saints et les connaisseurs de Dieu. Leur tâche est de guider vers Dieu et d'accompagner les serviteurs vers la connaissance de leur Créateur tout en leur imposant la droiture et le respect du Livre d'Allah et la Sunnah de Son Prophète.
Le premier fruit que récolte le disciple de l'arbre de la réalité et en la compagnie des détenteurs de cette réalité est de sortir de l'obscurité de l'inadvertance de la Nafs (l'âme passionnelle), de ses troubles, ses illusions, ses conjectures, son pessimisme, son incertitude,
son inquiétude, sa déchirure et son étourderie qui sont source de criminalité et de maladies intérieures, vers la lumière de la vigilance du cœur, la tranquillité d'esprit, la quiétude, la miséricorde, l'optimisme et la joie en Dieu pour se retrouver dans un vaste espace de miséricorde divine où règnent la pureté et la clarté. Si les ignorants sont pessimistes à cause de ce que contiennent leurs Nafs qui ordonnent le mal, les saints et les connaisseurs de Dieu sont optimistes grâce à ce que contiennent leurs cœurs bons et purs.
Le Prophète (PSsl) a dit: "l'homme suit la religion de son compagnon, alors veillez à bien choisir vos compagnons". Il a encore donné un grand exemple pour marquer la différence entre la compagnie des ignorants et la compagnie de ceux qui ont la grâce des vertueux de sa communauté quand il a dit (PSsl): "le bon compagnon et le mauvais compagnon sont respectivement comparables au porteur de musc et à celui qui souffle pour allumer le feu. Quant au premier, soit il t'en donne (de son musc), soit tu lui en achètes, sinon tu apprécies la bonne odeur qu'il a sur lui. Alors que le second brûle tes habits ou tu sens son odeur infecte". Le souffleur sur le feu désigne la personne ignorante qui peut avoir une mauvaise influence sur l'intention et la détermination de son compagnon, même si Dieu préserve celui‐ci du mal que peut entraîner les actes de cet ignorant. Le porteur de musc désigne les saints et les connaisseurs qui encouragent leur compagnon à se rappeler de Dieu et avancer vers Lui, même s'il n'arrive pas à atteindre la grande réalité comme eux. Leur compagnon peut donc corriger sa croyance et sa foi ainsi que son extérieur et son intérieur. Si l'individu est bon extérieurement et intérieurement, alors ceci entraîne au niveau moral, pratique, économique, social et culturel une amélioration de toute la société où il vit.
Alors, qui sont ces saints à qui Dieu permet d'améliorer toute la société à travers l'amélioration de ses individus?
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