2) La réalité et les signes du Saint |
Les Saints sont ceux que Dieu a totalement pris en charge. Alors, la Volonté de Dieu devient aussi la leur après leur avoir ôté la volonté humaine. Leur mouvement et leur repos se font par Sa volonté et pour Lui. Quoiqu'ils disent et quoiqu'ils fassent, c'est avec l'autorisation de Dieu. |
Un tel degré de servitude n'est atteint qu'après avoir connu l'extinction de l'existence matérielle et être sorti de l'obscurité de l'inadvertance qui aveugle l'œil du cœur (al‐bassira). Pour ces gens‐là, Dieu devient l'ouïe par laquelle ils entendent, la vue par laquelle ils voient, la main par laquelle ils agissent et le pied avec lequel ils marchent. Celui qui ne possède pas ces attributs n'a qu'à se considérer parmi les gens du commun et chercher à être en la compagnie des gens qui les ont déjà. Par contre, celui qui est fier de sa force mentale et qui renonce à demander une réalité que même le Prophète Moussa (sur lui la paix) n'a pas hésité à demander, alors celui‐là n'a pas à chercher dans le sujet. Dieu a dit: "Si ces autres‐là n'y croient pas, du moins Nous avons confié ces choses à des gens qui ne les nient pas. Voilà ceux qu'Allah a guidés : suis donc leur direction." (Al‐An'am 6, verset 89) |
Les Saints ont eu tout le mérite et toute la considération alors que leurs adversaires ont le déshonneur et l'humiliation quand Dieu a déclaré la guerre à ceux qui se montraient hostiles à l'égard des Saints. Dieu a en effet dit dans le hadith qudsi à travers la parole de Son Prophète (pssl): "Quiconque est l'ennemi d'un Waly (un Saint), Je déclare la guerre contre lui. Mon serviteur ne s'approche pas de Moi par une chose plus aimable à Moi que ce que Je lui ai imposé, et Mon serviteur ne cesse de s'approcher de Moi par les œuvres surérogatoires jusqu'à ce que Je l'aime. Or, lorsque Je l'aime, Je suis son ouie par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il agit et son pied par lequel il marche. S'il Me demande quelque chose, Je lui donne certainement, et s'il cherche refuge auprès de Moi, Je le lui accorde". |
Ce que l'on peut comprendre du Coran et du hadith qudsi est qu'il y a une prise en charge générale, celle des croyants pieux comme dit dans le Coran: "En vérité, les bien‐aimés d'Allah seront à l'abri de toute crainte, et ils ne seront point affligés, Ceux qui croient et qui craignent" (Yunus 10, verset 62), et il y a aussi une prise en charge spéciale, celle par laquelle Dieu déclare la guerre à tout ennemi d'un saint. Ce dernier n'est donc qu'un connaisseur de Dieu et un serviteur parmi l'élite. Dieu a dit: "Par Ta puissance ! dit [Satan]. Je les séduirai assurément tous, sauf Tes serviteurs élus parmi eux" (Sad 38, verset 83). L'expression commune est que les Prophètes sont infaillibles et les Saints sont préservés. |
La règle chez les gens de la Réalité est que quiconque, en état d'éveil, dit: "moi je suis…" en vérité, il n'est rien. Toutes ces expressions: "moi, je suis… je possède… je sais… je vois… j'agis…" sont des signes de ceux qui prétendent détenir la Réalité. Dieu s'adresse à Son Prophète (pssl) en lui disant: "Dis : Je ne suis pas une innovation parmi les messagers; et je ne sais pas ce que l'on fera de moi, ni de vous. Je ne fais que suivre ce qui m'est révélé; et je ne suis qu'un avertisseur clair" (Al‐Ahqaf 46, verset 9). L'existence des gens de la Réalité dans la société est comparable à l'existence de l'eau sous la terre. Et puisqu'on ne peut pas s'assurer de l'existence de l'eau avant de creuser, alors on ne peut pas s'assurer de l'authenticité du Saint avant le compagnonnage, le dhikr et la communication entre les âmes. C'est probablement ce qu'a voulu signifier l'imam Al‐Ghazali par rapport à l'aspect humain et non pas l'aspect divin en disant: "le doute est le début de la certitude". En effet, douter de l'existence de la chose, pousse à œuvrer pour s'assurer de son existence ou non. Et en fonction du résultat, qu'il soit positif ou négatif, le doute laisse place à la certitude. |
On peut comparer l'état des gens intègres qui gardent le secret de Dieu et l'état des prétentieux bavards à l'état de l'eau sur le feu dont on entend un bourdonnement avant l'ébullition. Mais dès que l'eau bout, elle est prête pour la préparation du thé ou du café tout comme la Réalité Divine et l'éducation spirituelle silencieuse qui se préparent pour corriger l'état des cœurs et des âmes. |
L'imam Ach‐chatibi a attribué l'authenticité de la sainteté à l'état intérieur et redoutait une confusion avec les actions des menteurs et des faussaires. Il a dit dans son livre Al‐i'tissam: "la sainteté pourrait être cachée même si elle laisse apparaître une trace extérieure. En vérité, c'est une affaire cachée, intérieure, que Dieu Seul connaît. Peut‐être que la sainteté serait attribuée à quelqu'un qui n'est pas un saint ou que celui‐ci la prétendrait pour lui‐même ou |
laisserait apparaître quelque chose d'extraordinaire. Ceci est de la pure sorcellerie et ce n'est absolument pas du miracle". |
Des phénomènes comme le miracle, le dévoilement, l'apparition, la contemplation, les secrets, les lumières et les états divins, tous connus par les invocateurs fidèles et sincères, peuvent arriver aux disciples en chemin vers la Réalité pour les encourager à aller vers le Plérome Suprême (al‐mala' al‐a'la) et afin de leur assurer qu'ils sont sur la voie de la Vérité. Cependant, cela n'est pas un signe de la prise en charge (wilaya) spéciale, réservée aux gens de la perfection tant au niveau de la Chari'a qu'au niveau de la Haqiqa. La personne qui bénéficie de cette prise en charge est quelqu'un qui est déjà arrivé dans son cheminement et qui fait arriver les autres à leur tour. On découvre cette personne à travers le compagnonnage, l'invocation et la communication entre les âmes. |
Quant au prétentieux dont les actes sont contraires au Livre et à la Sunna, il n'a pas abordé le chemin de la Vérité et n'a rien d'autre à faire découvrir que l'obscurité. Alors, s'il prétend détenir la sainteté ou si on la lui attribue par ignorance de son état et s'il se prend pour un Chaykh éducateur, il sera humilié et dévoilé lors de l'épreuve. |
Le véritable Saint ne prétend pas avoir la sainteté et on ne le prétend pas pour lui, mais c'est Dieu qui le fait apparaître ou le cache. Le soleil de la réalité a un rayon par lequel on le reconnaît. Ceux dont l'œil du cœur est illuminé le voient mais pas ceux dont l'œil du cœur est voilé, comme l'aveugle qui ne voit pas la lumière du soleil. |
Le Prophète (pssl) a dit: "méfiez‐vous de la firassa (l'œil du cœur) du croyant, car il voit les choses à la lumière divine". Avec cette lumière divine, le croyant perçoit la Réalité Divine mais ne voit pas la sorcellerie humaine. La firassa signifie littéralement: clairvoyance et discernement et, chez les gens de la Réalité: le dévoilement de la certitude et la perception du mystère et de l'invisible. Ibn 'Ajiba a dit dans son livre "Des vérités sur le soufisme": "la firassa est un sentiment qui envahit le cœur et elle dépend du degré de rapprochement et de connaissance. Plus le rapprochement est fort et la connaissance possède le cœur, plus la firassa est sincère. Quand l'âme se rapproche de Dieu Vérité elle ne manifeste que la Vérité". C'est donc cette firassa qui permet de distinguer entre la Réalité Divine qui se loge dans les cœurs bons et purs et la sorcellerie humaine que connaissent les cœurs perdus et obscurs. |
Les Saints de plus grande renommée qui atteignent les plus hautes stations et qui sont les mieux placés pour guider les gens sont ceux dont les états révèlent ce que contiennent leurs cœurs et dont les actes et les comportements traduisent leurs états intérieurs. Ils se sont consacrés à la servitude de Dieu et se sont soumis à Sa Magnificence et Sa Majesté sans pour autant vouloir se distinguer des gens ni promettre la délivrance et le secours à leurs compagnons. Ils sont donc un moyen vers la guidance sans la garantir et mènent vers la Réalité suprême sans prétendre être en relation avec elle. Leur état est celui du serviteur qui délègue son affaire à son Seigneur et qui a besoin de Lui, qui craint Son châtiment et qui espère Son Pardon et Sa Récompense. Ils implorent Sa Grâce et Sa Générosité en prenant l'exemple sur le Prophète (pssl) quand il a dit: "l'un d'entre vous ne sera pas sauvé par ses actions", "même pas |
toi, Ô Messager de Dieu?", lui demande‐t‐on, "même pas moi", répond‐il, "à moins que Dieu me couvre par Sa Miséricorde". |
L'Unicité pure est celle des gens de la Réalité soufie. Elle est sentimentale, elle provient du cœur et n'a pas été perturbée par les démonstrations mentales sur l'existence de Dieu. Celui dont le cœur est habité par le Sens (l'Essence de Dieu) n'a pas besoin de preuve de son existence et celui qui a encore besoin de preuves mentales et convaincantes sur l'existence de Dieu, alors sa foi n'est pas complète. |
Les Saints authentiques se sont enterrés dans la servitude de Dieu et Il les a faits apparaître pour le bien de Ses serviteurs. Mais ceux qui sont restés cachés, Dieu les a déchargés de la responsabilité de garder le secret de la Réalité et leur a créé les conditions pour ne se préoccuper de rien d'autre que Lui. |
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