Albanie : Baba Dede Reshat Bardhi, le chef spirituel des Bektâchi, s’est éteint

Les Bektâchi sont en deuil. Samedi 2 avril, le chef spirituel Baba Dede Reshat Bardhi s’est éteint à Tirana. Politiques et religieux albanais de toutes tendances ont rendu hommage à cet homme de dialogue et de tolérance. Le bektachîsme est une branche de l’islam proche du soufisme apparue en Turquie dès le XIIIe siècle. Depuis 1929, son siège mondial se trouve à Tirana.

Baba Dede Reshat Bardhi, le chef spirituel des Bektâchi du monde entier, s’est éteint à l’âge de 76 ans le 2 avril dernier. Toute la classe politique albanaise, les représentants des autres communautés religieuses et la communauté internationale ont rendu hommage à cet homme qui a symbolisé la paix et la tolérance religieuse en Albanie. Le Conseil des ministres a déclaré le lundi 4 avril journée de deuil national en son honneur.

« L’exemple de cet homme extraordinaire aux vertus humaines et spirituelles, de ce chef religieux consacrés, qui a donné sa contribution précieuse et généreuse, non seulement à la religion Bektâshi, mais aussi à la consolidation et la restauration de la démocratie en Albanie, nous oblige tous à l’honneur et au respect de sa vie et de son travail », peut-on lire sur le site officiel de la Présidence albanaise.

Haji Dede Reshat Bardhi était né en 1935 à Lusme, un village de Kukës, dans le Nord de l’Albanie. Reshat était le sixième d’une très pauvre famille de huit enfants. Comme il le confiait lui-même, il avait dû travailler comme berger dès l’âge de 9 ans. Il racontait aussi comment sa maison avait été incendiée, sans doute parce qu’elle servait de base aux forces nationalistes albanaises. Sa mère s’en était sortie de justesse en voulant sauver l’un de ses fils. Après ce tragique épisode, la famille Bardhi s’est installé dans les faubourgs de Tirana juste à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

À 11 ans, le jeune Reshat gardait le bétail de sa famille sur les collines entourant le Siège international des Bektâchî et observait, étonné, les allées et venues des gens. Il se souvenait comment Baba Dede Ahmeti l’avait fait entrer dans le monde des Bektâchî : « Dede Ahmeti me prenait souvent avec lui pour aller devant la tombe de Naim Frashëri (écrivain albanais bektâchi, NdT). Il me parlait longtemps de lui et me récitait ses poésies en me souhaitant ‘que la chance soit avec toi et que tu puisses travailler pour la patrie comme ces martyrs’ ».

Devenu derviche à l’âge de 18 ans, en août 1954, c’est de Dede Ahmeti qu’il avait obtenu la bénédiction. « Le Bektâchîme est empreint de volontés saines mais qui ne peuvent se réaliser qu’à travers de grandes peines », déclarait-il, mesurant le poids qu’il avait alors accepté de porter.

Haji Dede Reshat Bardhi et le communisme

En 1967, le régime communiste a interdit la pratique de toutes les religions et le pouvoir a alors commencé à détruire tous les objets de culte. Le 30 juin de cette même année, Dede Ahmet signait le Décret Saint dans lequel il reconnaissait Reshat Bardhi comme son successeur. Par ce geste, il voulait faire savoir au régime et à tous les fidèles Bektâchî, que malgré l’interdiction des communistes, la foi bektachi allait se maintenir.

Voilà comment Baba Reshat se souvenait, de mémoire, de ce décret : « J’ordonne que tous les religieux et croyants bektâchi, de l’Albanie et du monde entier, reconnaissent Haji Dede Reshat Bardhi comme mon successeur, car il est le plus brillant et il les guidera dignement. Les savants l’honoreront de leur savoir, les vaillants le défendront avec leur vigueur, les généreux le défendront avec leur générosité. Tous les croyants sans exception s’agenouilleront devant lui et s’éclaireront à sa lumière, comme les étoiles du soleil ».

Après 1967 et la fermeture des églises, mosquées, tékés et autres objets de culte par la force, Baba Reshat Bardhi fut envoyé de force dans une ferme agricole collective, où il dut rester pendant vingt ans à manier pelle et pioche. Approché par les services secrets pour devenir informateur, il a toujours refusé pour continuer à prendre soin de l’héritage de Dede Ahmet. « Les souffrances élèvent l’homme spirituellement », se plaisait-il à répondre quand on l’interrogeait sur cette période, sans jamais s’étendre sur ce qu’il avait enduré.

À partir de 1991, à la chute du communisme, les Albanais ont de nouveau pu pratiquer leur culte en toute liberté et Baba Reshati a repris possession du Siège des Bektâchî, qui était devenu entretemps une maison de retraite. Malgré une santé fragilisée par des années d’un éprouvant travail physique, il a mis sa dévotion au service du Centre en faisant tout pour en refaire l’objet de culte qu’il avait toujours été.

Depuis cette date, il s’était donné corps et âme pour servir les nombreux croyants qui fréquentent aujourd’hui encore le lieu saint situé au Nord-Est de Tirana. Baba Reshat Bardhi faisait partie de ces hommes qui dégagent une bonté et une gentillesse exceptionnelle. Un caractère digne de cette communauté religieuse connue, entre autres, comme l’un des symboles du patriotisme albanais.

Traduit par Mandi Gueguen
http://balkans.courriers.info/article17269.html

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